Qasem Soleimani (Nasimonline, 20 octobre 2015)
Aperçu général
1. Le général Qasem Soleimani (Haj Qasem) a été nommé commandant de laForce Qods des Gardiens de la révolution iranienne fin 1997 ou début Mars 1998. La Force Qods est l'un des cinq bras des Gardiens de la révolution iranienne, le principal et plus puissant organe sécuritaire d'Iran et le principal soutien du régime. Il s'agit d'une unité d'élite apparemment composée de plusieurs milliers d'agents. La Force Qods a été créée en 1990 afin de mettre en place un cadre opérationnel organisé pour les vastes activités menées dans le cadre de l'exportation de la révolution islamique dans le monde. Au fil des ans, la Force Qods est devenue le fer de lance des efforts de l'Iran pour consolider sa puissance régionale et promouvoir ses objectifs stratégiques par le terrorisme et la subversion politique.
2. La Force Qods n'est pas une unité militaire organique mais une organisation-cadre composée d'un siège général, de commandements spéciaux chargés de diverses spécialisations secrètes et d'administrations régionales chargées de zones géographiques spécifiques. Elle jouit d'un grand prestige au sein de la direction iranienne et bénéficie d'un accès à de nombreuses ressources et des conseils du guide suprême Ali Khamenei. La Force Qods influence le processus de prise de décision stratégique et défensive à Téhéran, en particulier les décisions concernant les questions extérieures sensibles liées aux activités régionales de l'Iran. Pour lutter contre les divers ennemis de l'Iran au Moyen-Orient et dans le monde, la Force Qods utilise des mandataires et leur fournit un soutien militaire et financier.
3. Qasem Soleimani est le deuxième commandant de la Force Qods. Il a remplacéAhmad Vahidi, qui a occupé le poste de ministre de la Défense sous Mahmoud Ahmadinejad (2009-2013). Pendant de nombreuses années, Soleimani a adopté profil bas et était presque inconnu du public iranien (bien qu'il ait été mentionné dans le cadre des activités iraniennes de subversion et de terrorisme au-delà des frontières de l'Iran). Il a été inscrit sur la liste des terroristes étrangers des États-Unis après la tentative d'assassinat de l'ambassadeur saoudien à Washington en 2011.[1] Le rôle clé qu'il a joué dans le renforcement de l'influence iranienne au Moyen-Orient pendant les bouleversements régionaux (le "Printemps arabe") a significativement augmenté son exposition médiatique à la fois en Iran et à l'étranger. En conséquence, il a été mentionné comme un candidat possible de la direction politique iranienne.
4. Les changements politiques profonds dans le monde arabe au cours des dernières années ont créé de nouvelles opportunités pour l'Iran pour étendre son influence au Moyen-Orient. Lorsque les bouleversements régionaux ont débuté, l'Iran a présenté les changements dans le monde arabe comme une expression d'un réveil islamique inspiré par la révolution islamique et comme le début d'une transformation qui allait changer la face de la région. Depuis lors, afin de faire progresser l'hégémonie iranienne dans le monde arabe, la Force Qods sous le commandement de Qasem Soleimani est devenue le principal instrument utilisé pour exploiter les nouvelles opportunités offertes par l'effondrement des États nationaux et la faiblesse des Etats arabes sunnites opposés aux aspirations régionales de l'Iran.
5. Toutefois, en plus des nouvelles possibilités, les événements dramatiques au Moyen-Est ont présenté d'importants risques et défis pour l'Iran. Les dirigeants iraniens ont rapidement compris que la politique du monde arabe était plus complexe que prévu et qu'il n'était absolument pas certain que la République islamique puisse diriger les bouleversements régionaux ou servir de modèle au monde arabe. Le soulèvement chiite à Bahreïn en 2011 a accentué les inquiétudes arabes sur l'influence croissante de l'Iran, et a approfondi les soupçons des pays arabes sunnites. La guerre civile en Syrie (le plus important allié de l'Iran dans le monde arabe) a posé un autre défi de taille à l'Iran et a menacé de nuire à la cohérence du "front de résistance" mené par l'Iran. Les succès militaires de l'Etat islamique représentent un enjeu stratégique pour l'Iran et l'ont obligé à envoyer en Irak et en Syrie des armes et des conseillers, le plus important étant Soleimani. La campagne internationale menée par les Américains contre l'Etat islamique a rendu le défi plus redoutable et a compliqué la situation en Irak et la Syrie pour Iran.
6. Pour faire face à la tourmente régionale, l'Iran a fourni des ressources à la Force Qods dans un effort d'exploiter les opportunités et de minimiser les risques. Dans le nouveau Moyen-Orient qui a surgi, Qasem Soleimani a commencé en coulisses (et au cours de la dernière année sur la scène centrale) à tirer les ficelles des activités subversives, politiques et militaires de l'Iran. Il est ainsi devenu une des personnalités les plus influentes dans la formulation de la politique étrangère iranienne, et son influence devrait croître après l'accord sur le nucléaire iranien. Son rôle central dans la formulation de la politique étrangère régionale iranienne, qui surpasse celui du ministre iranien des Affaires étrangères, se retrouve dans ses liens étroits avec le leadership politique, qui le considère comme une autorité sur les développements dramatiques qui se déroulent au Moyen-Orient. Par exemple, à deux reprises au cours des deux dernières années (Septembre 2014 et Septembre 2015), Soleimani a été invité à l'Assemblée des experts (un puissant conseil, responsable de l'élection du guide suprême, qui supervise ses activités et qui a le pouvoir de décider s'il remplit son rôle correctement).
Qasem Soleimani serre la main d'Iraniens à Ispahan (www.598.ir, 18 janvier 2015)
7. L'approche de Qasem Soleimani sur les développements dans l'arène régionale reflète le concept de base du régime iranien, qui considère l'Occident, en particulier les Etats-Unis, comme la source de tout le mal dans le monde et la principale menace pour la sécurité nationale et les intérêts vitaux de l'Iran. Cette hostilité envers les Etats-Unis et Israël ("le régime sioniste", considéré comme un mandataire américain) est toujours au cœur de l'idéologie iranienne, même après l'accord nucléaire. Selon Qasem Soleimani, dont les positions reflètent fidèlement celles du guide suprême Ali Khamenei,l'Iran est le fer de lance de la lutte contre les Etats-Unis et ses mandataires régionaux. Par conséquent, assurer la puissance de l'Iran, de la Force Qods et des alliés de l'Iran dans le "front de résistance" est nécessaire pour déjouer les efforts américains et faire de l'Iran une puissance régionale.
8. Selon Qasem Soleimani, l'Iran a marqué des points dans ses relations avec les Etats-Unis et ses alliés au Moyen-Orient. A l'occasion d'une conférence des commandants des Gardiens de la révolution récemment organisée à Téhéran, Soleimani a affirmé que le Moyen-Orient et l'Asie de l'Ouest avaient eu une influence considérable sur "l'effondrement" de la situation de l'Amérique comme puissance mondiale et que, pendant les vingt dernières années, l'Iran avait infligé d'importants dégâts à tout ce qui fait de l'Amérique une puissance. Il a fait référence à quatre façons par lesquelles les États-Unis essaient de réhabiliter leur statut au Moyen-Orient : l'utilisation de l'ONU et d'autres organismes, tels que les organisations des droits de l'homme ; le renforcement du "régime sioniste"; l'affaiblissement de l'Iran et la conservation des luttes dans le monde musulman afin d'accroître leur dépendance envers les États-Unis. Il a affirmé que la politique américaine concernant l'Etat islamique et d'autres organisations islamistes radicales consiste à les exploiter pour promouvoir leurs propres intérêts, mais pas à les anéantir. Selon lui, les États-Unis cherchent à préserver ces organisations afin d'accroître la dépendance des pays du Moyen-Orient (Agence de presse Mehr, 16 septembre 2015).
9. Avec Qasem Soleimani, l'Iran a renforcé son statut et son influence régionale durant les bouleversements régionaux. L'implication iranienne en Irak a freiné l'avancée de l'Etat islamique, son soutien à Assad a empêché l'effondrement du régime syrien, et son soutien aux rebelles Houthis au Yémen leur a donné un avantage sur le gouvernement yéménite. D'autre part, l'Iran en général, et Soleimani en particulier, ont également subi des échecs : en dépit du soutien iranien, ainsi que de celui du Hezbollah et de l'armée syrienne, le régime syrien s'est retrouvé dans une impasse, qui a nécessité une implication militaire russe directe. Les combats entre l'administration irakienne et les milices chiites opérant sous égide iranienne, d'une part, et l'Etat islamique de l'autre, sont dans une impasse, et les alliés Houthis de l'Iran au Yémen ont récemment subi de sérieux revers qui témoignent des limites de la puissance de l'Iran dans ces arènes et de la nature problématique d'une stratégie reposant sur l'utilisation de mandataires iraniens à travers le Moyen-Orient.
10. Compte tenu de la détresse du régime syrien au cours de l'année écoulée, qui se manifeste par la menace posée par les organisations rebelles sous l'égide du Front Al-Nusra à Lattaquié et dans d'autres bastions du régime syrien le long de la côte, à la mi-Septembre 2015, l'Iran a augmenté le nombre de ses forces en Syrie de plusieurs centaines à plusieurs milliers. Les renforts, composés de membres des Gardiens de la révolution et de leurs milices, ont été envoyés pour soutenir l'armée syrienne dans son offensive dans le Nord de la Syrie, qui a débuté le 7 octobre 2015. Le quotidien libanais affilié au Hezbollah Al-Akhbar a rapporté que le 11 octobre 2015, Qasem Soleimani est arrivé au Nord-Ouest de la Syrie pour diriger l'offensive de l'armée syrienne avec le soutien des Gardiens de la révolution (Al-Akhbar, 13 octobre 2015).
11.La participation des Gardiens de la Révolution dans les combats en Syrie a placé Qasem Soleimani sous le feu des projecteurs. Les réseaux sociaux ont publié une vidéo et des images de Soleimani (apparemment dans la région de Lattaquié) le montrant lors d'un briefing à des combattants du Hezbollah. Son arrivée en Syrie en même temps que les forces iraniennes semble indiquer que les efforts et l'attention de la Force Qods en général et de Soleimani en particulier sont détournés de l'Irak à la Syrie. La détresse stratégique du régime syrien oblige la Force Qods, sous le commandement de Soleimani, à concentrer ses efforts pour aider l'armée syrienne à repousser les rebelles dans le Nord-Ouest de la Syrie (dans les régions de Homs, Hama, Idlib et Alep), avec le soutien aérien russe. Jusqu'à présent, l'offensive syrienne a fait face à des difficultés et les membres des Gardiens de la révolution luttant au front ont subi des pertes importantes (plus de trente morts, dont trois officiers supérieurs avec le grade de colonel ou de général de brigade).
Briefing de Qasem Soleimani à des combattants du Hezbollah, apparemment dans la région de Lattaquié, après le début de l'offensive terrestre dans le Nord de la Syrie (Facebook, 13 octobre 2015)
12. Au cours des dernières années, Qasem Soleimani est devenu très puissant dans l'arène politique iranienne interne. Son service continu au sein des Gardiens de la révolution, le soutien qu'il reçoit du guide suprême Ali Khamenei, ses relations étroites avec la direction politique iranienne, son engagement envers le régime islamique et l'idéologie de la révolution et son image publique de héros national renforcent sa position et pourraient lui être utiles dans l'avenir s'il opte pour une carrière politique. Cependant, ses liens, son expérience et son talent ne garantissent pas nécessairement son succès politique. Dans le passé déjà, de hauts commandants des Gardiens de la révolution ont tenté d'intégrer la politique nationale sans succès (par exemple, l'ancien commandant des Gardiens de la révolution Mohsen Rezaei et le maire de Téhéran Mohammad Ghalibaf).
Sources et structure de l'étude
13. Cette étude se concentre sur Qasem Soleimani et ses activités au cours des deux dernières années à l'égard de la politique iranienne globale et de la Force Qods. Elle est la suite de deux précédentes études du Centre Meir Amit intitulées : "Utilisation de la Force Qods des Gardiens de la révolution comme principal outil pour exporter la révolution au-delà des frontières de l'Iran", (en anglais), publiée le 2 avril 2007 et "La Force Qods, unité d'élite des Gardiens de la révolution islamique, fer de lance de la campagne terroriste mondiale iranienne", publiée le 7 août 2012, et d'autres documents du Centre sur les activités subversives et terroristes de la Force Qods au Moyen-Orient et dans le monde sous le commandement de Qasem Soleimani.
14. L'étude est basée sur une grande variété de sources publiées ces dernières années dans les médias iraniens, arabes et occidentaux, et sur les réseaux sociaux. Malgré l'importante quantité d'informations sur les activités de Qasem Soleimani et de la Force Qods, quelques lacunes ont été constatées.
15. L'étude est divisée en neuf sections :
1) Première partie : Courte biographie de Qasem Soleimani
2) Deuxième partie : Participation de Qasem Soleimani dans la guerre civile syrienne
3) Troisième partie : Implication de Qasem Soleimani en Irak
4) Quatrième partie : Participation de Qasem Soleimani dans l'arène palestinienne et en Israël
5) Cinquième partie : Implication de Qasem Soleimani au Liban
6) Sixième partie : Participation de Qasem Soleimani au Yémen et dans d'autres pays du Moyen-Orient
7) Septième partie : Participation de Qasem Soleimani dans la politique iranienne interne
8) Huitième partie : Image publique de Qasem Soleimani
9) Neuvième partie : Possible levée des sanctions internationales contre Qasem Soleimani suite à l'accord sur le nucléaire
[1]Cette étude de Qasem Soleimani a été réalisée pour le Centre Meir Amit par le Dr Raz Zimmt, chargé de recherche au Centre Alliance d'études iraniennes à l'Université de Tel-Aviv et chercheur au Forum de pensée régionale. Ses champs d'expertise incluent la politique, la société, la politique étrangère et les réseaux sociaux de la République islamique. L'étude a été coordonnée avec les chercheurs du Centre Amit et reprend des informations publiées par le Centre sur la Force Qods.
[2]A ce sujet, voir notre article du 3 novembre 2011 intitulé "Les États-Unis ont déjoué un complot iranien d'assassiner l'ambassadeur saoudien à Washington en utilisant la Force Quds, l'unité d'élite des Gardiens de la Révolution", à l'adresse http://www.terrorism-info.org.il/fr/article/17830